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Interview réalisée par "Technikart" (01 Juin 1995)

Huang Yong Ping, une des figures les plus influentes du mouvement avant-gardiste chinois, considère son art comme une provocation, une subversion même, du système établi par les pouvoirs culturels, politiques et intellectuels en Orient comme en Occident -la pièce "Le théâtre du monde" a été récemment censurée lors de l’exposition "Hors Limites" au Centre Pompidou. Inspiré par Dada, Wittgenstein, Foucault, Beuys, par le Yi King et le bouddhisme zen, il recourt à une stratégie radicale de l’"anti-culture".


# Huang Yong Ping, lorsque vous étiez en Chine, vous avez basé votre travail sur des problèmes “d’anti-culture”, ce qui était nécessaire à l’époque. Aujourd’hui, vous vivez en Occident mais vous insistez toujours sur ces mêmes préoccupations. De quelle manière considérez vous l’importance des fondements de votre travail ?

Tout d’abord, "anti-culture" ne doit pas être considéré comme une position opposée à "culture". Il devrait y avoir des efforts pour chercher une autre culture. En d’autres termes, il faut assumer une attitude critique à l’égard des perceptions conventionnelles de la culture. Ce n’est pas un problème spécifique à la Chine puisque, en Occident, on soulève constamment ce problème. A mon sens, "l’anti-culture" sert à désigner "l’Autre". "L’Autre" est vraiment l’un des éléments les plus importants que l’art contemporain occidental recherche à présent.

# Laver les livres est votre langage le plus typique. Quelle en est sa vraie signification ?

L’acte de laver les livres se rapproche de ce que Wittgenstein a dit : il y a parfois des expressions qu’il faudrait éliminer du langage et les envoyer à laver pour être ensuite ramenées dans la communication. Il n’empêche que ce que je fais, en lavant les livres, peut être considéré à la fois comme le processus et le but de tout mon travail. Je ne ne crois pas que le langage, une fois lavé, puisse retourner à la communication. En d’autres termes, la communication est elle-même une "forme impure". En plus, mon acte de laver des livres ne doit pas servir à nettoyer la culture mais à la salir.


“JE NE NETTOIE PAS LA CULTURE, JE LA SALIS.” 
# Dans votre travail et dans vos idées, on peut reconnaître une forte influence du Livre des mutations (Yi jing), du bouddhisme Zen, de Wittgenstein et de Foucault. Un jour, vous avez affirmé que nous devrions “combattre l’Occident avec l’Orient et, vice-versa, l’Orient avec l’Occident”.
Pourriez-vous nous donner plus de précisions à ce sujet ?

A mon sens, les interactions et les influences réciproques entre des cultures différentes sont très importantes. "Occident" et "Orient", "Moi" et "Lui" ne sont pas des concepts fixes et définis une fois pour toutes. On peut les faire changer. Quand j’étais en Chine, j’étais très intéressé par l’Occident en le considérant comme une entité différente de moi et comme une source d’inspiration. A l’inverse, maintenant que je suis en Occident, je parle plus de la Chine. Cela est peut-être dû au contexte occidental. D’une part, "combattre l’Occident avec l’Orient" signifie combattre l’euro-centrisme, d’autre part, combattre l’Orient avec l’Occident signifie éviter de s’enfermer dans un nationalisme élémentaire. Evidemment, ces préoccupations changent constamment selon les différents contextes.


# En lavant les livres, en utilisant ou en négligeant le Yi Jing, en adaptant récemment l’alchimie et d’autres actions, vous soulignez une illumination après avoir troublé l’eau. Il y a une certaine violence dans ce “jeu” de l’ambiguïté, sans doute. Une telle violence “ambiguë” devient plus forte et plus nécessaire dans le contexte occidental à cause des différences culturelles…

Produire de l’art en tant que tel et parler d’art en tant que tel a montré notre incapacité à comprendre les choses, pour ne pas dire notre manque d’illumination. Si j’ai dit que l’eau "doit être troublée", c’est parce qu’"il n’y aurait pas de poisson si l’eau était propre". Le terme "violence" est actuellement très à la mode. Les médias occidentaux nous ont donné l’impression que les gens aiment voir cette violence. Quant à moi, je préfère le terme "inviolence", car les conflits intérieurs sont plus significatifs que ceux extérieurs.


# Votre travail est principalement fondé sur une interprétation du contexte concret de l’exposition ou de l’événement. Ce processus ne sous-entend-il pas une signification politique de plus en plus présente ?

Je suis d’accord avec toute sorte d’explication sur mon travail. Le travail est lui-même ouvert. En même temps, toute explication d’un travail artistique est en fait une explication à propos de la personne qui explique. Si quelqu’un dit que dans mon travail il y a des implications politiques, c’est parce que ce quelqu’un aime la politique. En revanche, pour quelqu’un qui n’a aucune passion pour la politique, mon travail serait "apolitique". Le mot "politique" représente pour moi un concept très général. De la même façon, le mot "site" n’indique pas seulement l’espace architectural d’une exposition mais aussi un discours politique et social. Le fait de travailler sur le site concret d’une exposition change déjà un discours concret, on lui a ajouté des mots, ce qui n’a rien à voir avec le discours. Alors le soi-disant discours socio-politique deviendrait plus clair. Voilà tout.




http://www.technikart.com/archives/163--archives-magazine-huang-yong-ping